Apporter du plaisir alimentaire en restauration collective ? Oui mais comment ? Partage d’une expérience réussie.
La commensalité et le plaisir alimentaire doivent être au cœur de l’alimentation des mangeurs fragiles, personnes âgées, par exemple, pour favoriser leur envie de manger et leur bien-être. C’est la recommandation de la 4e édition des Rencontres de l’Institut de nutrition à l’issue de tables rondes confrontant sociologues, chercheurs et responsables de restauration ainsi que des responsables d’initiatives sur ce sujet.
L’alimentation partagée avec les soignants
Kevin Charras, directeur du Living Lab vieillissement et vulnérabilité au CHU de Rennes en est convaincu : l’alimentation partagée est une des solutions pour agir sur la solitude et favoriser le bien-être des mangeurs fragiles. Également docteur en psychologie, il fait la distinction entre la nutrition « froide » (les besoins nutritionnels de l’organisme) et la nutrition « chaude », contextualisée, culturelle, sociale, motivée, sensitive, émotionnelle, mnésique et adaptative. Il rappelle que si l’alimentation doit s’adapter aux capacités à manger de l’individu (adaptation des textures) et à ses habitudes socioculturelles, elle ne doit pas, pour autant, mettre de côté le plaisir à manger. Tous les éléments qui contribuent à une expérience alimentaire agréable doivent être pris en compte. « Il est essentiel de capitaliser sur les compétences et les motivations des individus pour leur bien-être et de respecter les préférences alimentaires de chacun », explique-t-il. Pour lui, c’est au mangeur de décider s’il souhaite consommer des textures modifiées ou non. « Ainsi on redonne aux convives le contrôle de leur alimentation et on respecte leur singularité ».
De la théorie à la pratique
Kevin Charras a testé le concept des repas partagés dans une unité de vie d’un EHPAD où pendant 6 mois, les professionnels (sans leurs blouses médicales) ont mangé avec les résidents. Pour rendre l’expérience alimentaire plus agréable et chaleureuse, le service au plat a été privilégié plutôt que l’assiette individuelle. « Ceci permettait aussi aux résidents de choisir les quantités qu’ils souhaitaient manger ». Le menu comportait une entrée, un plat, du fromage, un dessert et un café et du vin était proposé lorsque cela n’était pas contre-indiqué. Cette expérience s’est révélée prometteuse puisque les résidents ayant participé aux repas ont pris du poids. Elle a permis également d’observer une amélioration de l’autonomie des résidents, des relations sociales renforcées, une plus grande participation aux repas partagés et une implication accrue des chefs cuisiniers. Cette approche a suscité une motivation nouvelle chez les résidents. « On se rend compte que le fait de partager un repas et de rendre le contexte d’alimentation plus agréable, créer des terrains de coexistence entre les professionnels et les résidents. Cela favorise l’attention des uns envers les autres », remarque Kevin Charras. Une piste pour réfléchir aux accompagnements de demain.
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« Le goût, le vrai et le sens » au cœur des préoccupations du SIAL |
Parler plaisir plutôt que nutrition
L’influence du plaisir a aussi été évoquée lors d’une table ronde par Silvy Auboiron, Isabelle Maitre et Julien Carestiato. Silvy Auboiron fait la distinction entre le plaisir viscéral et le plaisir hédonique, qui peut être sollicité par la stimulation sensorielle. Elle cite des études de Pierre Chandon montrant que le plaisir hédonique a un impact favorable sur le choix des portions, la durée du repas, la satisfaction globale et la valeur accordée au repas. Pour elle, le discours nutritionnel est contreproductif et éloigne le plaisir à manger. « Par exemple, dire qu’il faut manger des fruits et légumes parce que c’est bon pour la santé, disqualifie d’office ces aliments », affirme Silvy Auboiron. La stimulation sensorielle est essentielle au plaisir et les restaurants gastronomiques savent très bien y faire appel. « Le plaisir alimentaire doit donc être considéré comme un allié plutôt qu’un ennemi de la santé », conclut-elle. Isabelle Maitre, qui a réalisé de nombreux travaux auprès de résidents en institution, rapporte une étude sur des personnes de 65 ans à 100 ans indiquant que l’âge ne semble pas altérer la capacité à prendre du plaisir et à s’alimenter. Au contraire, l’alimentation reste l’un des derniers plaisirs qui subsistent pour ces personnes. De même, lorsque les résidents peuvent participer à la personnalisation de leur repas, en pouvant choisir parmi des garnitures variées ou des condiments, la satisfaction et la prise alimentaire sont améliorées. Les personnes âgées peuvent, même si elles ont des capacités sensorielles diminuées, percevoir toutes les propriétés des aliments. « Il est donc essentiel d’améliorer de manière polysensorielle les aliments en travaillant sur leur odeur, leur apparence, la présentation de l’assiette afin que chaque dimension soit plaisante pour les résidents », conseille-t-elle. Julien Carestiato, responsable adjoint dans un service de restauration collective auprès de sujets handicapés rapporte la difficulté à proposer une alimentation adaptée aux handicaps et qui réponde aux besoins et aux préférences des convives. La présence des personnes fragiles dans les commissions menu lui semble indispensable pour cela, en collaboration avec les éducateurs qui les accompagnent au quotidien. D’autant que les convives se montrent souvent demandeurs et force de proposition.
Il ressort de cette première partie des rencontres que le goût, les sensations alimentaires et les échanges entre convives devraient être les fondamentaux d’une alimentation collective mais nécessite une approche collaborative et une attention particulière à la qualité de l’expérience sensorielle proposée.
Notons cependant que si l’absence de plaisir alimentaire conduit très souvent à une sous-nutrition des personnes âgées et en institution, (comme souvent en milieu hospitalier), il ne faudrait quand même pas oublier qu’une alimentation qui serait uniquement construite sur la recherche du plaisir peut s’avérer néfaste sur le plan nutritionnel : aux professionnels de la nutrition de faire en sorte que plaisir alimentaire et alimentation adaptée aux besoins ne soient pas contradictoires.
Source : Bien vivre et manger ensemble — 4e édition des Rencontres de l’Institut de Nutrition — le 1er juin 2023. https://www.institut-nutrition.fr/rencontres-de-linstitut-nutrition/rencontres-de-linstitut-nutrition-2023/
C. Costa et B. Guy-Grand © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Date de publication : 06/12/2023
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