Manger équilibré et en quantité suffisante quand on a de petits revenus est possible… sous certaines conditions.
Les crises récentes — COVID-19, guerre en Ukraine, augmentation de l’énergie, inflation des prix alimentaires — ont mis en lumière les difficultés des plus modestes à se nourrir sainement et suffisamment. Mais le phénomène est-il si nouveau et va-t-il évoluer favorablement ?
L’INRAE a publié un dossier dans lequel sont compilés de nombreux travaux de ses chercheurs sur les inégalités sociales face à l’alimentation. On y rappelle que la précarité alimentaire était déjà forte dans les années 1980 avec le chômage de masse. Depuis, la précarité et le recours à l’aide alimentaire ont augmenté alors même que l’activité économique n’a fait que croître. En 2020, l’Insee estime à près de 9 millions, les personnes sous le seuil de pauvreté en France. Et le recours à l’aide alimentaire a doublé entre 2009 et 2019 pour atteindre 5,5 millions de personnes. Ce sont pour un tiers des bénéficiaires, des familles monoparentales (des mères dans 8 cas sur 10). Et depuis 2021, de nouveaux groupes de population y font appel comme les étudiants.
Quel impact sur la qualité des régimes alimentaires ?
« Les Français, quels que soient leurs revenus, consomment en moyenne des quantités équivalentes de produits gras, sucrés, salés, de viande et de poisson », peut-on lire dans le dossier. Cependant, les boissons sucrées et les fruits et légumes sont deux catégories différenciantes entre les plus diplômés et plus aisés, et les personnes en situation précaire. Les premiers consomment en moyenne 450 g/jour de fruits et légumes tandis que les derniers en consomment 231 g/jour. Les inégalités sociales marquent donc l’équilibre nutritionnel de l’alimentation.
L’inégalité nutritionnelle accentuée par l’inégalité de l’offre et des pratiques
Les travaux de l’INRAE révèlent aussi que certains quartiers défavorisés sont des déserts alimentaires. Les personnes âgées et les femmes seules avec enfants, sans moyen de transport, sont les premières pénalisées. On nous rappelle aussi que le temps passé à cuisiner, le savoir-faire et les achats de produits bruts séparent les plus aisés des plus modestes. On le sait, l’âge et la situation familiale influencent les choix alimentaires et certaines étapes de vie peuvent conduire à une dégradation de l’alimentation (séparation, veuvage, arrivée ou départ des enfants, retraite, etc.). Cependant, ces changements de situation auraient des effets amplifiés chez les plus modestes, la monoparentalité y étant plus fréquente et doublée de l’absence de soutiens relationnels et familiaux.
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Un Français sur cinq en situation de précarité alimentaire |
Les recommandations du PNNS sont-elles trop coûteuses ?
Pour les chercheurs, si le prix des fruits et légumes dont la consommation est recommandée peuvent représenter une source de dépense supplémentaire, celle-ci devrait pouvoir être compensée par la réduction de la consommation de viande, elle aussi recommandée par le PNNS. « Un régime équilibré est atteignable avec un petit budget à condition de faire évoluer ses pratiques de cuisine ainsi que les représentations sociales liées à la viande », indiquent les auteurs du dossier. Mais la forte inflation des prix alimentaires depuis 2022 rend-elle cela toujours possible ?
Quid du coût de la durabilité des systèmes agricoles
L’évolution vers des pratiques plus agroécologiques, qui doit permettre de répondre aux enjeux environnementaux, pourrait conduire à une hausse des coûts de production. Les économistes de l’INRAE ont évalué, par exemple, que le Pacte vert européen aura pour conséquences à l’horizon 2030 une augmentation des prix agricoles mais que cet effet sera amoindri par la réduction des pertes et gaspillages, et par la baisse de la demande de produits animaux. Au final, l’impact sur les dépenses alimentaires des consommateurs devrait être mineur, d’autant que les prix agricoles ne constituent, en moyenne, qu’une faible part du prix final (composé aussi des coûts de transformation, transport, distribution. . .).
Le dossier de l’INRAE conclut que le risque d’augmentation des dépenses alimentaires des consommateurs pourrait être sensiblement réduit s’ils s’engageaient dans des comportements différents en matière de réduction du gaspillage ou de pratiques alimentaires.
Source : Manger sain et à sa faim, une question de revenus ? INRAE — https://www.inrae.fr/dossiers/alimentation-sortir-inegalites/manger-sai…;
C. Costa © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Date de publication : 06/12/2023
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