Pour faire évoluer nos comportements vers une alimentation plus durable, deux chercheuses présentent leurs solutions : agir sur nos choix et imposer un étiquetage environnemental.
Comment favoriser l’évolution des comportements vers une alimentation durable ? Une question posée par le Fonds Fran ̧cais pour l’Alimentation et la Santé à deux expertes du domaine : Nicole Darmon, directrice de recherche à l’INRAE et Flore Nougarede, ingénieur agroalimentaire à l’ADEME.
Une alimentation plus durable oui mais comment ?
« Il n’est pas si simple d’associer en pratique la qualité nutritionnelle d’une alimentation et son faible impact environnemental », explique Nicole Darmon, « surtout si la contrainte budgétaire est forte ». Elle rappelle la définition de la FAO de l’alimentation durable : « nutritionnellement adéquate sûre et saine », « protectrice et respectueuse de la biodiversité et des éco-systèmes », « culturellement acceptable » et « économiquement viable, accessible et abordable ». Une définition qui ne se limite donc pas seulement à l’environnement, comme le pense souvent le public.
L’accessibilité financière de l’alimentation est, par exemple, un pilier important et on observe une corrélation forte entre l’apport énergétique et le coût de l’alimentation, ainsi qu’une relation inverse entre les revenus du foyer et la part du budget alimentaire. Ainsi, l’adéquation nutritionnelle et l’accessibilité financière sont parfois en conflit et ceci peut expliquer en partie les choix alimentaires des populations défavorisées. Les consommations de fruits et légumes et de poisson diminuent avec le revenu tandis que les féculents et les produits sucrés augmentent. Il est possible d’aller vers une alimentation durable en privilégiant certains groupes d’aliments de bonne qualité nutritionnelle au détriment d’autres. Par exemple en reportant une partie du budget de la viande vers les fruits et légumes, en achetant davantage de produits laitiers et moins de plats mixtes, moins de produits sucrés et salés et plus de céréales, pomme de terre et légumes secs.
Concernant la dimension environnementale, il existe une compatibilité entre la moindre quantité consommée et un moindre impact environnemental. En revanche, une meilleure qualité nutritionnelle est associée à un impact carbone plus élevé car à apport calorique égal, il faut ingérer une plus grande quantité de produits de meilleure qualité nutritionnelle que d’aliments denses en énergie.
Pour intégrer la dimension culturelle à l’équation, l’équipe de Nicole Darmon a analysé les consommations des Français (INCA2) et a identifié les sujets qui avaient une meilleure qualité nutritionnelle que les autres et un impact carbone moindre. Cette catégorie de population (20 % des sujets) consommait moins en quantité et plus équilibré avec une contribution de féculents et céréales non raffinées, et de fruits et légumes plus importante et une moindre contribution de viande. Le coût de leur alimentation était plus faible et l’impact carbone réduit de 20 %.
Pour concilier nutrition, budget, et environnement, il sera donc nécessaire d’augmenter les légumes et les fruits (4 kg/semaine), d’augmenter les produits céréaliers (210 g/sem et complets), légumes secs (200 g/sem) et de passer au pain complet (750 g/sem), de maintenir la consommation des produits laitiers, œufs et poisson, de diminuer la viande et charcuterie (250 g/sem) ou diminuer la viande de ruminant au profit des viandes blanches et diviser par deux les produits gras, sucrés et salés.
Les dernières données du Crédoc, qui rapportent une diminution des consommations de produits carnés nous indiquent que l’acceptabilité culturelle de la réduction des produits carnés en France est déjà en cours.
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Quel affichage environnemental sur les aliments ?
« Une meilleure information environnementale peut contribuer à encourager les producteurs à une éco-conception et les consommateurs vers une alimentation plus durable », explique Flore Nougarede. Reste à proposer un dispositif objectif, fiable et compréhensible. Pour avancer sur ce sujet, l’ADEME pilote actuellement une expérimentation avec le Ministère de la transition écologique et l’INRAE.
La question environnementale est une préoccupation des consommateurs mais qui a du mal à se traduire en acte d’achat. Des initiatives se développent actuellement mais leur prolifération pourrait créer de la confusion. Une vision collective est nécessaire.
L’expérimentation comporte deux volets : un volet expérimental, effectué via un appel à projet ouvert en septembre 2020, qui vise à capitaliser sur les dispositifs en cours, ainsi que des expérimentations de mesure d’impact ; et un volet expertise, réalisé par des groupes de travail transversaux, créés à l’initiative du comité de pilotage et en fonction des sujets identifiés.
Dix-neuf projets ont été reçus, provenant de structures très variées (distributeur, applications, plateforme de vente en ligne, restauration collective, cabinets de conseil…). Les méthodes proposées reposent sur des indicateurs différents et des données basées sur l’analyse de cycle de vie, qui est la seule méthode reconnue et utilisée à l’échelle internationale. Mais elle ne couvre pas toutes les dimensions du secteur alimentaire et nécessite d’être complétée par d’autres indicateurs (les Gaz à effet de serre, biodiversité…).
De nombreuses problématiques sont en cours de discussion dans le cadre des travaux de l’expérimentation, aussi bien sur les méthodes de calcul (ex : indicateurs biodiversité) que sur les formats d’affichage (multicritère ? descriptif ou prescriptif ? échelle numérique, colorimétrique, de classes…?). Ces différentes options seront à tester dans les mois à venir via des projets d’expérimentation et des études consommateur.
Pour Flore Nougarede, la question n’est plus de savoir si la France est capable de faire un affichage environnemental dans le secteur alimentaire puisqu’on a la preuve que cela est possible. Cependant, il est difficile d’arriver à une méthode consensuelle. L’expérimentation actuelle apportera de nombreux éclairages sur les différents choix techniques et politiques à réaliser. Le rapport final sera remis au Parlement à l’automne 2021 pour arbitrage et décision.
Conférence du FFAS : Comment favoriser l’évolution des comportements vers une alimentation plus durable ?
https://www.youtube.com/watch?v=yJ4hlfgmCnY
C. Costa
Par Bernard Guy-Grand « © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés ».
Date de publication : 30/06/2022