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 Le microbiote sera la nouvelle opportunité de la nutrition personnalisée. Deux scientifiques, Karine Clément et Amandine Everard expliquent pourquoi, lors de la Journée Benjamin Delessert.


La Journée Annuelle Benjamin Delessert s’est déroulée en visioconférence le 5 février dernier. Parmi plusieurs thématiques abordées, celle du microbiote a particulièrement attiré notre attention. 
Karine Clément a fait le point sur l’intérêt de l’analyse du microbiote et son utilisation en tant que biomarqueur dans la prédiction de la réponse individuelle à l’alimentation. La métagénomique a fait rapidement avancer ce domaine en offrant la possibilité de quantifier le génome des bactéries, phages et autres champignons du microbiote intestinal. 

Connaître sa composition fournit, en effet, l’opportunité de diagnostiquer ou de stratifier un sujet atteint d’obésité, de diabète ou de maladies cardiométaboliques. Elle cite pour exemple des études du génome bactérien chez les sujets obèses qui ont identifié des changements dans la composition des grands groupes (ou phyla) bactériens, de certaines bactéries spécifiques mais également des modifications quantitatives et fonctionnelles. L’augmentation de certains groupes bactériens pourrait alors favoriser la production d’énergie à partir des sucres complexes habituellement non digérables par l’organisme. Les études ont aussi révélé que l’obésité est associée à une plus faible diversité bactérienne chez certaines personnes, et ce d’autant plus que le niveau d’obésité est élevé. Cette plus faible diversité est aussi associée à une détérioration métabolique et inflammatoire plus importante (plus de masse grasse, d’inflammation bas-grade et d’insulinorésistance). Par ailleurs, certaines espèces bactériennes sont moins présentes chez les sujets obèses, comme Akkermansia muciniphila. Enfin, on sait que la qualité de l’alimentation impacte le métabolisme des bactéries, module la production des métabolites bactériens, qui ont eux-mêmes un impact sur la biologie de l’hôte. 

Peut-on pour autant envisager une nutrition personnalisée ? Possible car les outils pour mettre en place une médecine de précision sont en plein développement. Karine Clément cite plusieurs études dans lesquelles l’analyse du profil microbien a permis de prédire la réponse à une intervention nutritionnelle ou encore les réponses glycémique, lipidique ou inflammatoires post-prandiales en fonction du profil du microbiote. Les données du microbiote combinées aux phénotypes cliniques, biologiques et environnementaux des sujets, permettent de construire des modèles de prédiction utilisant des forêts d’arbres de décision. Cependant, il reste encore beaucoup de travail et notamment à démontrer la contribution des espèces identifiées à la physiopathologie des maladies métaboliques. 

Amandine Everard travaille aussi sur le microbiote intestinal et sur la façon de le moduler à l’aide des probiotiques (microorganismes vivants qui, ingérés en quantité suffisante, confèrent des effets bénéfiques pour l’hôte). Le marché de la supplémentation propose des probiotiques, mais ils appartiennent à une variété relativement restreinte de microorganismes, principalement des lactobacilles ou bifidobactéries. Pour elle, d’autres microorganismes semblent bien plus intéressants, comme la bactérie Akkermansia muciniphila, notamment dans le contexte de l’obésité et des maladies métaboliques associées. Elle cite des études précliniques notant une diminution de son abondance chez les souris obèses et chez lesquelles une supplémentation prévient la prise de poids induite par un régime lipidique et améliore le métabolisme glucidique. Chez l’homme, on sait déjà que son abondance est corrélée au statut pondéral des sujets et à leur réponse à un régime hypocalorique. Amandine Everard a mis au point un milieu de culture permettant de produire cette bactérie et une première étude de supplémentation orale et quotidienne chez des sujets avec un syndrome métabolique a mis en évidence des effets bénéfiques sur plusieurs paramètres métaboliques ainsi que sa bonne tolérance aux doses testées. 

Benoit Chassaing a centré son intervention sur les composants présents dans l’alimentation moderne et qui pourraient affecter l’équilibre du microbiote intestinal. Il pointe en particulier les additifs alimentaires, parmi lesquels les agents émulsifiants, qui pourraient avoir un rôle dans la progression de certaines pathologies inflammatoires de l’intestin (MICI). Leur utilisation croissante depuis quelques années semble être corrélée à l’évolution de l’incidence des MICI et de celle du syndrome métabolique. Chez le rongeur, ces additifs favorisent la translocation bactérienne à travers certaines cellules épithéliales intestinales et semblent induire une inflammation iléale. 

Benoit Chassaing a pu montrer chez la souris, que la consommation d’agents émulsifiants induit une modification drastique des espèces bactériennes composant le microbiote intestinal, rendant ce dernier pro-inflammatoire. Ces agents émulsifiants induisent aussi l’apparition de dérégulations métaboliques caractérisées, entre autres, par une augmentation de la masse du tissu adipeux ainsi que par une hyperglycémie. Très récemment Benoit Chassaing a montré que ces effets néfastes sont aussi retrouvés pour de nombreux agents émulsifiants utilisés par l’industrie agroalimentaire et que le pouvoir pro-inflammatoire de ces composés serait lié à leur impact sur certaines bactéries spécifiques du microbiote intestinal. Trois essais cliniques chez l’homme sont en cours. 

Pour conclure, il alerte les pouvoirs publics sur la révision nécessaire des tests d’autorisation des additifs alimentaires. 

JABD — 5 février 2021. Institut Benjamin Delessert — http://www.institut-benjamin-delessert.net

C. Costa 

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