La France est l’un des pays au monde où la chirurgie de l’obésité est la plus pratiquée. Pourtant, la gestion de ses complications ainsi que son suivi ne sont pas toujours optimaux. C’est notamment le cas de la prise en charge après une sleeve, qui comptabilise 46 % de perdus de vue. Le docteur Sébastien Czernichow, propose plusieurs pistes pour améliorer la prise en charge des personnes ayant recours à la chirurgie bariatrique.
La France est l’un des pays au monde ou la chirurgie de l’obésité est la plus pratiquée alors même que le nombre d’obèses y est relativement modeste au regard d’autres pays. « Elle arrive en troisième position avec plus de 600 000 interventions réalisées depuis 1997 », indique Sebastien Czernichow (hôpital européen Georges-Pompidou) à l’occasion du Dietecom. En cause, notre système de santé en effet qui ne limite pas le recours à la chirurgie bariatrique et des critères de l’HAS moins stricts que dans d’autres pays.
Si la chirurgie bariatrique est efficace sur l’obésité en termes de perte de poids, c’est la gestion de ses complications nutritionnelles qui laisse à désirer comme le rappelle Sebastien Czernichow. Plusieurs points nécessitent la vigilance des soignants, bien au-delà de la reprise de poids : risque de résurgence des comorbidités, de carences nutritionnelles, de troubles du comportement alimentaire, d’addictions, de fractures ou encore de troubles de l’image corporelle. Sur la perte de poids, S. Czernichow rappelle qu’elle est très variable selon les individus (93 % perdent plus de 10% de leur poids initial après un « by-pass », mais seulement 40 % en perdent plus de 30%), différence qui s’explique principalement par la qualité des accompagnements nutritionnels et psychologiques proposés aux patients.
Au sujet de l’évolution des comorbidités, il rappelle que la moitié des patients sous antidiabétiques, sous anti-hypertenseurs ou sous hypolipémiants continue les traitements 6 ans après la chirurgie alors qu’on leur promettait leur arrêt. De même, selon une étude récente à laquelle il a participé, on n’observe pas de réduction des traitements pour les troubles anxiodépressifs ou pour les douleurs articulaires après la perte de poids. S. Czernichow alerte donc sur l’information transmise au patient : « si elle est incomplète, elle peut créer une déception » et probablement un relâchement du suivi.
Autre point de vigilance, les carences nutritionnelles. Elles sont déjà très présentes avant l’intervention en raison d’apports insuffisants en fruits et légumes, de la multiplication des régimes restrictifs, mais aussi d’une moindre biodisponibilité des vitamines liposolubles. « Elles seront majorées par la chirurgie bariatrique selon la technique employée », prévient-il. L’anémie est notamment très fréquente en post-chirurgie, principalement en raison d’une mauvaise observance de la supplémentation, de l’exclusion de certains aliments riches en fer et des pertes menstruelles (85% des opérés sont des femmes). Or, elle est associée à un risque accru de dépression. D’autres carences sont associées à des complications neurologiques. C’est le cas des carences en vitamines A, B1, B6, B9, B12, D, E, cuivre et protéines. Celle en vitamine B1 peut notamment induire des complications neurologiques sévères (oculomotrices, mémoire, vertiges, paresthésies…). « Le dosage régulier de ces vitamines est donc nécessaire », recommande-t-il.
Une autre complication de la chirurgie bariatrique est la survenue d’une addiction à l’alcool chez les sujets présentant une dépendance préexistante. La technique du « by-pass » est notamment pointée : 3 à 4 ans après l’intervention elle conduit plus fréquemment que les autres techniques à une hospitalisation pour alcoolisation aiguë. La recherche d’une prédisposition à l’alcool est donc un préalable nécessaire avant l’intervention.
Le risque suicidaire est aussi évoqué dans quelques études, mais il est à rapprocher de la fréquence élevée de troubles mentaux (5 à 23% de dépression, anxiété, troubles compulsifs, troubles de la personnalité…) en préopératoire et est probablement affecté par la malabsorption des vitamines et des psychotropes. Ces troubles doivent être recherchés au préalable.
Enfin, les 20 ans de suivi de la cohorte suédoise SOS permettent de mettre en évidence un risque de fracture sévère doublé après un « by-pass » ou un anneau (versus non opéré). La qualité du suivi nutritionnel est questionnée par les auteurs de l’étude.
Les motifs possibles d’une rechute sont donc nombreux et les patients doivent être davantage informés sur les complications de la chirurgie avant l’opération, même si certaines sont rares. Les soignants doivent aussi travailler en amont avec le patient sur la projection de l’image corporelle et sur ce que le patient peut attendre de la chirurgie, pour qu’il ne soit pas déçu après l’opération. Le suivi nutritionnel à 5 ans des sujets opérés est aussi à revoir. En cause, un problème d’organisation : « En France, les 37 centres spécialisés obésités ne sont pas équipés pour suivre les plus de 600 000 sujets opérés », alerte S. Czernichow. Et de fait, 46% des sujets avec « Sleeve », 44% des sujets avec anneau, 38% des sujets avec diversion biliopancréatique et 26% avec un « by-pass » n’ont plus aucun contact avec le système de soins 5 ans après leur intervention. Pour S. Czernichow, plutôt que de réduire le nombre d’intervention, la priorité est d’organiser la prise en charge des sujets déjà opérés en impliquant davantage les généralistes. Enfin, un gros travail doit être réalisé sur l’amélioration de la qualité du « screening » préopératoire et le standardiser pour remettre à jour les recommandations de l’HAS.
La nouvelle feuille de route « Prise en charge des personnes en situation d’obésité » a inscrit plusieurs des points d’améliorations évoqués par S. Czernichow dans ces priorités. Reste la question de son financement.
C. Costa « © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés ».
Intervention de Sébastien Czernichow —– Dietecom 9 et 10 mars 2020. www.dietecom.com.
Date de publication : 30/06/2020
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