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Consommer des aliments de saison et produits localement pourrait être une des solutions pour aller vers une alimentation durable. Toutefois, cette pratique favorable à l’environnement, devra convaincre pour séduire certaines catégories de la population peu sensibles à la durabilité.

L’adoption de pratiques alimentaires plus respectueuses de l’environnement est un défi écologique mais aussi social. Des économistes et sociologues de l’Inra ont travaillé sur un levier encore peu exploité mais qui pourrait limiter l’empreinte environnementale des consommateurs : le recours aux aliments de saisons et à ceux produits localement. Mais avant de promouvoir cette pratique vertueuse auprès de la population, plusieurs questions se posent. Suivons-nous encore les rythmes alimentaires saisonniers ? Les plus riches s’affranchissent-ils des contraintes de saison ? Qui souhaite manger de saison ? Dans quelle mesure, manger de saison est-il le levier d’une alimentation durable ?

Pour y répondre, le projet Diet4Trans a analysé les rythmes saisonniers des consommations alimentaires et les différences entre groupes sociaux dans leurs pratiques de consommation « de saison » et à contre-saison. Il s’agissait de mieux connaître les valeurs et perceptions qu’ont les individus des saisons et de mettre en évidence les facteurs socioéconomiques et culturels qui conduisent à l’adoption de pratiques alimentaires favorables à l’environnement.

L’étude s’est focalisée sur les fruits et légumes en raison de l’impact écologique d’une production à contre-saison, et sur les légumes secs qui échappent aux saisons et dont la consommation pourrait permettre de réduire la consommation de produits carnés. Les données d’achat de Kantar WorldPanel 2015 (7000 ménages) ont été utilisées et une enquête de terrain a été réalisée (72 entretiens).

Les résultats rapportent une forte saisonnalité des produits frais par rapport aux non-périssables et en particulier des fruits frais par rapport aux légumes frais. Les achats de fraises (fruit emblématique) se font à 65 % sur les quatre mois de saison (mai à août) et ceux de tomate fraîche (légume emblématique) le sont à 68 % pendant les cinq mois de saison (mai à septembre).

Une association claire avec le statut socioéconomique apparaît. Un niveau de revenu familial plus élevé, ou un niveau d’éducation supérieur à Bac +3 pour le panéliste ou une CSP+ (cadres supérieurs et professions libérales) favorisent une plus forte saisonnalité des achats. De même, une proximité avec des zones de production encourage une saisonnalité vertueuse des achats. Les foyers de personne seule, homme ou femme, et les couples sans enfants ont de meilleures pratiques saisonnières par rapport aux couples avec enfant, alors que les familles monoparentales ont de moins bonnes pratiques. Enfin, deux groupes sont associés négativement aux quantités achetées en saison : les plus jeunes (18—44 ans) et ceux qui sont obèses.

Quant aux achats des légumineuses, ils sont plus importants en quantité chez les plus de 44 ans, chez les sujets obèses et les catégories inférieures d’éducation et de CSP.

L’ensemble de ces résultats indiquent que les catégories les plus jeunes sont les plus éloignées de ces pratiques vertueuses et qu’une plus grande proximité avec des zones de production encourage ces pratiques. Les jeunes ménages doivent donc être les cibles prioritaires d’une action pour l’adoption de pratiques plus durables.

Le second volet du projet (enquête sur les perceptions) met en lumière un fort clivage social opposant les individus pour qui « manger de saison » est un impératif pour la planète (catégories aisées, urbains, étudiants) ou pour soutenir l’économie locale (toute génération, toute CSP) et ceux qui « mangent sans les saisons » (catégories modestes).

Deux postures s’opposent : une posture éthique, avec une consommation présentée comme morale, qui rassemble différentes préférences (local, bio, de saison, pratiques de réduction de viande) et qui regroupe plutôt des individus de milieux aisés et intermédiaires. Et une posture « de calcul » motivée par de fortes contraintes financières et leur mode de vie qui conduisent certains à « manger sans les saisons » (par méconnaissance ou par plaisir à consommer de tout) et d’autres à rechercher un bon rapport qualité prix en suivant les saisons (seniors de catégorie populaire ou intermédiaire).

De ces données, les chercheurs extraient trois facteurs d’attention aux saisons.

En premier lieu, l’appartenance sociale et territoriale : les modestes privilégient les aliments bon marché qu’ils soient de saison ou non tandis que la classe moyenne consomme de saison par devoir vis-à-vis de l’environnement et pour des raisons de santé. L’attention aux saisons est clairement associée à une plus grande consommation de fruits et légumes frais, tant en quantité qu’en diversité. Enfin, la proximité physique ou sociale avec le monde rural favorise l’attention aux saisons.

Le second facteur est lié aux trajectoires individuelles et collectives. Les évènements, transitions et ruptures de parcours de vie (enfant, maladie, âge) sont déclencheurs de l’attention portée à l’alimentation comme facteur de santé et donc à la saisonnalité des aliments. Si les anciennes générations ont une meilleure connaissance de la saisonnalité des fruits et légumes, les plus jeunes, très sensibles à la cause environnementale savent où s’informer sur le sujet.

Le troisième facteur est lié à la sensibilité environnementale, qui conduit progressivement les individus à emprunter des circuits d’approvisionnement alternatifs et à prendre conscience des saisons.

Les chercheurs concluent que manger de saison est un nouvel impératif dont une partie de la population a fait une règle morale mais qui se heurte à une très forte disparité selon les catégories sociales. La diversité des postures et des motivations rend difficile l’articulation entre les enjeux environnementaux et sociaux. Ils recommandent alors de tirer parti des dynamiques favorables auprès des individus qui ont déjà des gestes écologiques et notamment des jeunes générations désirant s’engager. Cibler les jeunes ménages sensibilisés par l’arrivée d’un enfant, informer sur la diversité des aliments de saisons, avoir un discours positif mobilisant l’hédonisme, l’économie et le soutien local, et communiquer sur les plats de saison (le levier culinaire a fait ses preuves auprès des CSP-) pourraient être aussi des solutions à mobiliser. Pour ce qui concerne les légumes secs, les chercheurs recommandent de communiquer sur leur capacité à se substituer à la viande, sur leur contenu en protéines, sur leur faible coût, leur disponibilité et leur facilité de conservation.

À l’issue de la présentation de ces résultats, les échanges ont porté sur le rôle de la grande distribution, qui propose des produits homogènes et stables tout au long de l’année, dans la contre-saisonnalité, mais aussi sur l’impact des politiques publiques et de leurs injonctions à diversifier l’alimentation (est-elle compatible avec la monotonie du « manger saison » ?), ou encore sur l’influence indéniable des inégalités de revenu et de territoire. Enfin, n’oublions pas les contraintes et les jeux d’acteurs (pression sur les femmes) qui pèsent sur les pratiques réelles des consommateurs.

C. Costa « © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés ».

Saisonnalité et contre saisonnalité pour une alimentation durable. Conférence Inra du 22 novembre 2019—Faustine Régnier, France Caillavet.

https://ageconsearch.umn.edu/record/296763/files/iss19-5-6.pdf

Date de publication : 05/03/2020

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