Sommaire

Quelques pistes tirées de l’analyse de la bibliographie internationale par Sophie Nicklaus.

Quels sont les leviers possibles pour le changement des comportements alimentaires aux différents stades de la vie que beaucoup appellent de leurs vœux autant pour des raisons sanitaires que des raisons liées au changement climatique ?

Sophie Nicklaus tente de répondre à ce sujet d’autant plus difficile à aborder que les habitudes ne sont pas faites pour être changées puisque ce sont des routines qui permettent de gagner du temps dans des décisions quotidiennes. Sans compter que le comportement du consommateur évolue dans un système alimentaire relativement complexe qui intègre différentes dimensions comme les prédispositions biologiques, l’expérience avec les aliments, les déterminants liés à la personne, les déterminants sociaux et des déterminants cognitifs. D’où la difficulté de n’intervenir que sur des leviers individuels.

Cinq freins à une alimentation saine

Pour Sophie Nicklaus, cinq freins s’opposent à la mise en place d’une alimentation saine : (1) Souvent, les aliments sains ont un goût moins facile à apprécier que les autres aliments (cas des légumes) ; (2) Le fait que le système d’apprentissage dans notre cerveau associe un relargage de dopamine proportionnel aux calories ingérées et que les aliments sains sont moins denses en énergie ; (3) L’absence de marketing des aliments sains par rapport à ceux moins sains, ce qui les rend moins saillants dans l’environnement alimentaire ; (4) Les tensions éducatives ou les injonctions sociales, parfois contre-productives, qui se focalisent sur ces aliments ; (5) La compétition inégale des aliments moins sains, plus appétissants lorsqu’ils sont en présence d’aliments sains.

À chaque stade, son défi

À chaque période de la vie correspond un défi à relever vis-à-vis des aliments sains : faire découvrir ces aliments pendant l’enfance, apprendre à les mâcher et les aimer, maintenir leur consommation chez des enfants exposés au marketing alimentaire, maintenir leur consommation alors qu’ils sont souvent plus chers et que le pouvoir d’achat baisse (étudiants, sujets âgés, etc.).

Agir précocement

Sophie Nicklaus rappelle que le comportement alimentaire se forme durablement depuis la petite enfance et se maintient au cours de la vie. D’où l’importance d’agir très tôt. Elle cite ainsi l’importance de l’allaitement au sein préalablement au démarrage de la diversification alimentaire, de l’introduction d’aliments de différentes saveurs à partir de l’âge de 4 mois, de l’introduction de différentes textures entre 6 et 10 mois et si possible en répétant les expositions à un aliment donné pour favoriser les apprentissages et en appliquant un style de nourrissage dit « démocratique » en amenant l’enfant à goûter sans le forcer à manger et en laissant l’enfant décider des quantités consommées. Ces messages sont repris dans le guide « Pas à pas, votre enfant mange comme un grand » disponible sur https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-a…
(Cf. Pages Informations du CND 56(6)).

La « littéracie alimentaire », puissant levier de changement

Quand l’enfant grandit, la disponibilité des aliments sains est un facteur primordial. Étant donné l’environnement complexe (alimentaire, personnel, familial, amical et social) dans lequel l’enfant va grandir, Sophie Nicklaus considère qu’il est important d’équiper l’enfant de « littératie alimentaire ». Plus qu’un concept d’éducation nutritionnelle, il s’agit d’actions visant à équiper l’enfant de capacités lui permettant de faire des choix favorables à sa santé. Trois grands types de compétences doivent être enseignés à des stades spécifiques du développement de l’enfant : (1) des compétences « relationnelles », c’est-à-dire comment l’enfant est relié à son environnement alimentaire, quel plaisir il va ressentir au cours de la vie en s’alimentant, comment sa culture alimentaire est intégrée ; (2) des compétences « fonctionnelles » c’est-à-dire en matière de préparation des aliments ; (3) et des compétences « critiques » qui lui permettent de comprendre et d’agir de manière critique vis-à-vis de son environnement. Des travaux scientifiques, parmi lesquels ceux de son équipe de recherche commencent à étudier ce concept.

Co-construire avec les ados

Au sujet des adolescents, des travaux suggèrent que pour intervenir sur les déterminants individuels, il faut le faire de manière adaptée aux contextes locaux et sur la base des opinions des adolescents, donc si possible de manière co-construite.

Prendre en compte les facteurs autres que la volonté 

Chez l’adulte, il est possible de se baser sur les travaux de Suzanne Michie (2011) qui a proposé un modèle classant des facteurs ne relevant pas de la volonté comme les capacités, les opportunités et les motivations. Elle catégorise les interventions qui font bouger ces catégories et les politiques publiques qui peuvent être mises en place. Il est possible aussi de s’inspirer de l’échelle d’intervention de The Nuffield council on Bioethics (2007) qui gradue la façon d’intervenir en partant de l’absence d’intervention avec observation de la situation (niveau 1) jusqu’à l’absence de choix possibles (niveau 7). Le 2e niveau correspond à fournir de l’information. C’est ce qui est souvent choisi par les instances publiques car il est considéré comme le moins invasif.

Utiliser les nudges

Un autre type d’intervention consiste à faire des modifications assez discrètes de l’environnement, sans restreindre la liberté de choix, que l’on appelle les nudges. Pierre Chandon montre dans une méta analyse que les nudges comportementaux (praticité, taille des portions) ont plus d’effet que les nudges affectifs (appeler à mieux manger, étiquetage sensoriel, etc.) et que les nudges cognitifs (étiquetage nutritionnel, étiquetage simplifié, etc.) sont les moins efficaces (Cadario & Chandon Marketing Science 2020).

Dans sa conclusion, Sophie Nicklaus souligne la nécessité d’utiliser le plaisir comme levier pour les interventions en santé publique, et dans ses 3 dimensions : plaisir sensoriel, plaisir interpersonnel (consommer ensemble) et plaisir lié aux représentations cognitives de la nourriture. En travaillant sur des contextes sociaux positifs, on peut notamment permettre aux enfants mais aussi aux adolescents, aux adultes et aux personnes âgées d’apprécier des aliments sains.

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Des nudges pour faire manger des légumes

Source : Sophie Nicklaus — Identification des leviers aux différents stades de la vie pour faire changer les comportements alimentaires — Journées Francophones de Nutrition http://www.lesjfn.fr
C. Costa « © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés »

Date de publication : 13/05/2024

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